Descendant du massif du Tanargue, la Baume s'est
d'abord frayé un passage depuis Valgorge à travers
le massif granitique qu'elle traverse par une gorge
encaissée ; en aval de son confluent avec la Drobie, avant
d'arriver à Rosières, elle ouvre sa vallée dans les roches
sédimentaires gréseuses sur lesquelles se sont implantées
autrefois les paroisses de Vernon et Ribes.
Leur proximité - à peine deux kilomètres les séparent à vol
d'oiseau - et bien d'autres aspects communs rapprochent
ces deux villages : situés au bas des pentes de la Cévenne
ardéchoise, leur relief reste accentué, leurs altitudes étagées sur plusieurs centaines de mètres, alternant
versants pentus et replats plus favorables à une
implantation agricole longtemps prospère, encore vivante
aujourd'hui. L'ensoleillement important, les sources
nombreuses, l'altitude différenciée, permettaient autrefois
de cultiver sur le territoire d'une même commune aussi
bien les oliviers, ou les mûriers nécessaires à l'élevage des
vers à soie, que la vigne et les châtaigniers, et la
polyculture faisant vivre une population alors nombreuse.
Ni l'une ni l'autre de ces deux communes ne comporte de
bourg principal, l'habitat ancien y est groupé en petits
hameaux et en mas isolés, les constructions réalisées en
bel appareil de grès, souvent implantées sur les terrains
les moins propices à l'agriculture (substrat rocheux,
ruptures de pentes).
La visite effectuée le 12 mars, bénéficiant d'une météo très
ensoleillée, nous a permis de visiter successivement
Vernon d'abord, et Ribes l'après midi.
Vernon - Vignoble de chatus et faïsses bien entretenues |
En rive gauche de la Baume, Vernon est voisine entre
autres de Sanilhac, Rosières, Ribes. Un territoire restreint
(moins de 4 km²), abrité des vents du nord, un habitat éclaté entre plusieurs hameaux, dont celui qui regroupe église et château. Des altitudes allant de 160 mètres en
bord de Baume à 470 mètres en point haut. Une
agriculture encore vivante, d'abord dans la plaine alluviale
de la Baume où elle est facilitée par l'irrigation (depuis la
rivière ou la résurgence de Chamandre), mais aussi sur les
replats intermédiaires (vignes, châtaigniers, jardins). Une
population de 230 habitants - il y en avait plus de 1 500 au
milieu du xixe siècle, avant les crises agricoles et la Grande
Guerre- mais un point bas d'à peine 170 habitants a été
enregistré vers 1980. La seigneurie de Vernon a laissé peu
de traces dans l'histoire. La pierre locale est le grès du
Trias, utilisé massivement pour les murs de soutènement
des faïsses et pour la construction des maisons et
bâtiments anciens. Michel Rouvière nous fait part des
nombreuses ornementations sculptées qu'il a relevées sur
les fenêtres à meneaux, les linteaux de ces hameaux, en
particulier ceux signés après 1860 de Jean Souchère, « maître maçhon ».
NDLR : Voir plusieurs exemples de ces ornementations dans l'exposé largement illustré de Michel Rouvière « Décors et symboles sur les maisons rurales »
Du parking situé à côté de la mairie, 200 mètres de route et un sentier balisé descendant à travers les vignes nous amènent sur le rebord d'un plateau gréseux dominant la vallée de la Baume, que nous suivons vers le nord, découvrant progressivement les curieuses formations en relief dites « tétines de Vernon ». Ces pointements gréseux de quelques dizaines de centimètres à un mètre de haut semblent être le résultat d'une érosion différentielle dont l'origine est encore mal expliquée. Le sentier nous conduit en fond de vallon à la cascade du Baumicou, haute de près de dix mètres, où ce ruisseau temporaire franchit une barre rocheuse dont la base affouillée forme abri sous roche.
Cascade de Baumicou |
Les têtines |
Vernon - Le château et l'église |
Vernon - Le château |
Par une calade traversant châtaigniers et prés, puis remontant raide devant l'ancien cimetière, nous arrivons à l'église, perchée à l'extrémité d'un promontoire rocheux d'où l'on bénéficie d'un superbe point de vue sur toute l'étendue de la commune, la vallée de la Baume et le village de Ribes. L'église voisine du château n'est autre que son ancienne chapelle, devenue église paroissiale et décrite comme telle dans un inventaire remontant au XVIIe siècle. Sa nef, comme les deux nefs latérales dont celle au nord gagnée sur le rocher, est dotée d'une voûte en plein cintre. Remaniée et agrandie au XIXe siècle, elle est dédiée à saint Michel, comme en atteste le vitrail central du chœur. Le bénitier rustique qui se trouve à l'entrée et le baptistère octogonal qui lui fait face, tous deux taillés dans le grès, semblent anciens. Le château est une construction simple de trois étages en bel appareil de grès, faite de quadrilatères imbriqués, avec une unique tour ronde en angle. Il semble en bon état bien qu'inoccupé, car propriété de résidents lointains.
Des ceps centenaires |
Reprenant la calade, nous arrivons à la route où François
Allamel, propriétaire du mas de l'Aubezon, nous attend
près des parcelles plantées de ceps noueux, énormes, de
cépage chatus, que sa famille et lui-même cultivent au
moins depuis le XIXe siècle. Les ceps qu'il nous montre ont
près de 130 ans : ils ont été plantés après que le
phylloxera a détruit entre 1870 et 1880 la presque totalité
du vignoble français. Les vignes ont alors été replantées en
greffant les cépages locaux sur des porte-greffes venus
d'Amérique, ce qu'on a appelé les « hybrides » : ces
parcelles toujours soigneusement entretenues avaient été
greffées de chatus et ce sont elles, déjà centenaires, qui
ont permis à partir des années 1980 de relancer la
production de ce cépage, dont l'aire d'appellation a depuis été étendue à d'autres communes comme Lablachère et
Rosières où sont justement vinifiés les raisins cultivés à
Vernon, une cuvée particulière étant consacrée à ces
parcelles.
François Allamel ne se contente pas de nous faire partager
sa passion pour la vigne, il nous montre aussi le beau
bâtiment de l'ancienne filature, nous parle de son aïeul
Firmin Boissin, auteur en 1887 du très connu roman « Jan
de la Lune », et de ses propres publications.
Ribes - Des faïsses bien entretenues |
En rive droite de la Baume, Ribes est voisine de
Lablachère, Payzac ou Vernon sur l'autre rive. Son
territoire est plus étendu (près de 8 km²), orienté au nord
et boisé dans sa partie basse au long de l'Alune, affluent de
la Baume. Un ancien moulin occupe ce vallon. L'habitat,
installé plus haut sur des replats mieux ensoleillés, est
dispersé entre plusieurs hameaux, dont celui regroupant église et mairie. Les altitudes sont très étagées, de 160 à
680 mètres. L'agriculture reste vivante sur le plateau
médian avec des vignes étagées sur de larges faïsses en
amphithéâtre, mais l'économie s'appuie aujourd'hui
davantage sur le tourisme. La population est de
280 habitants, mais était de plus de 700 au milieu du
xixe siècle ; un point bas à 230 a été atteint autour de
1970. La baronnie de Ribes a relevé successivement de
quelques grandes familles du Vivarais, dont les La Fare et
les Vogüé. La pierre locale est encore le grès du Trias,
souvent utilisé avec la même simplicité et la même élégance qu'à Vernon.
La découverte a été faite en 1973, en démolissant une
grange, d'un « trésor de Ribes », avec de nombreuses
monnaies d'or, d'argent, de billon, caché après 1620, vers
la fin des guerres de Religion1.
Église de Ribes - À remarquer l'abside romane polygonale |
Dédiée à l'Assomption de la Vierge, c'est une église romane, aujourd'hui inscrite à l’Inventaire des Monuments historiques, dont subsistent l’abside et ses fresques tardives, récemment dégagées.2 Sur le cul-de-four, le Christ en majesté dans une mandorle, entouré des symboles des quatre évangélistes ; en-dessous, trois tableaux représentant des scènes de la vie de la Vierge. Le reste de l'église, en trois nefs voûtées en plein cintre, a été agrandi et reconstruit au xixe siècle. L'ensemble est simple et lumineux, un meuble ancien justifie un détour par la sacristie. Le clocher récent a été construit en 1953, avec la volonté de « faire du solide » et l'emploi incongru de béton. Près de l'église, devant l'entrée de la mairie, la « statue du poilu », taillée dans le grès par Louis Bresson, érigée en monument aux morts.
Fresques de l'église de Ribes - Sur le cul de four de l'abside figurait le Christ en majesté entouré des symboles des quatre évangélistes |
Cheminée dite sarrasine - Dessin de Michel Rouvière |
Dans un hameau proche, surmontant un bâtiment qui date au moins du xviiie siècle, une cheminée dite parfois « sarrasine », à la mitre conique ajourée, dont nous n'avons pu voir que l'extérieur. Michel Rouvière qui a pu voir l'intérieur au cours des travaux de restauration fait circuler le dessin qu'il avait réalisé.
Manoir de style Renaissance |
R.Barbut nous fait traverser deux hameaux pour le plaisir de nous montrer de magnifiques encadrements ouvragés en grès fin, réalisés au xixe siècle à l'entrée de maisons donnant sur ce qui était alors la route de Valgorge, et la façade très visible d'un manoir de style Renaissance, agrémenté d'élégantes fenêtres à meneaux. Dans un troisième hameau subsiste ce qui a dû être le donjon d'un château médiéval, masqué aujourd'hui par des constructions plus tardives qui lui ont été accolées, ainsi qu'une ancienne filature, avec sa coconnière à la silhouette d'orangerie.
Espace Louis Bresson |
Cet espace muséal a été agréablement aménagé par l'association dans l'écurie voûtée d'une maison ancienne acquise par la commune. On y trouve de nombreux moulages d'oeuvres réalistes, souvent très fines, de ce « sculpteur - paysan » de Ribes qui s'est formé lui-même en travaillant le grès local avant de se faire connaître à Paris et ailleurs, retiré sur le tard dans son village natal où il est mort en 1983.
Fontaine des Flahuts |
L'après-midi se termine devant la fontaine des Flahuts, où Robert Barbut nous montre les travaux réalisés pour capter les sources aux fins d'irrigation et nous explique le surnom dont étaient parfois affublés les habitants de Ribes.
Jean-François Cuttier
(Visite de la Sauvegarde, mars 2016)