Dominé par son imposant château, le village de Vogüé étire ses maisons sur une étroite bande de terre entre la falaise et l'Ardèche. Déjà occupé à l'époque gallo-romaine, Vogüé était inclus dès le Haut-Moyen Âge dans la viguerie de Silva Plantada (Sauveplantade) où subsiste, on le sait, une superbe petite église romane. Mais dès la fin du xie siècle apparaît dans les textes la famille de Vogüé, dont l'histoire devient indissociable de celle du village et de son château.
D'azur, au coq d'or, le bec ouvert barbé et crêté de gueules |
Les membres de la famille de Vogüé les plus anciennement connus sont Bertrand, sa femme Bermonde et leur fils Pierre, lesquels donnent en 1084 des terres à l'abbaye de Lavilledieu. Puis on connaît un Guillaume de Vogüé, chanoine de Viviers en 1137 et un Raymond de Vogüé qui prit part en 1191 au siège de Saint-Jean d'Acre, durant la troisième croisade.
En 1207, on a trace d'une fratrie, Raymond, Pierre, Pons et Dalmace qui se reconnaissent vassaux de l'évêque. Ils se partagent la seigneurie, Raymond possèdant une tour dans le « vieux château », Pons la tour de Viellaure, Dalmace celle de Lespare tandis que Pierre se contente d'une enceinte palissadée. Nous sommes en effet à l'époque des coseigneuries, le droit romain alors en vigueur ne reconnaissant pas le droit d'aînesse. Ce n'est qu'à partir de la succession de Pierre IV de Vogüé en 1469 que le fils aîné devient l'héritier universel.
On connaît aussi un Arnaud de Vogüé, fils de Raymond, qui fut évêque de Viviers de 1246 à 1255.
Dans le lit de l'Ardèche, il y avait le moulin seigneurial, qui tournait encore à la fin du xviiie siècle et dont restent des vestiges. (Rouvière Michel, « Les moulins médiévaux de Vogüé », Vogüé d'hier et de toujours, Mémoire d'Ardèche et Temps Présent, Cahier n° 80, nov. 2003).
Il y avait l'imposante tour de Lesparre, encore debout au xixe siècle, éventrée en 1870 pour aménager la route actuelle. Ses vestiges demeurent reconnaissables. Dans le village, on trouvait la Tourasse, où vécut longtemps la famille de Vogüé. Il en reste une énorme tour haute de 15 mètres. Vers le sud, il y avait le petit château, ou « Châtelet », qui appartint aux Lagorce, puis aux Brison. Il fut détruit en 1634 sur ordre de Richelieu, de telle sorte que l'on ne sait plus exactement où il se trouvait.
Vers la montagne, la tour de Viellaure surveillait le chemin vers Villeneuve-de-Berg et Viviers, tandis que la tour Saint-Benoît était le seul débouché vers Saint-Maurice et Rochecolombe.
Enfin, vers le nord, il y avait le principal château qu'on appelait déjà « le château vieux ». Il se composait d'un énorme donjon carré de neuf mètres de côté, protégé par quatre tours d'angle reliées par une courtine continue, accompagnée d'une chapelle dont subsiste une fenêtre. Le donjon a dû être détruit au xixe siècle, car il menaçait de s'abattre sur les autres bâtiments. On peut encore en voir la base dans la cour d'entrée du château.
Le premier Vogüé sur lequel nous avons des informations précises est Raymond II (v.1247 - v.1307) qui participa à la septième croisade aux côtés de saint Louis. C'est lui qui semble être le véritable fondateur de la puissance des Vogüé. Son domaine s'étendait sur Vogüé, Rochecolombe (acquis de la famille d'Ucel), Lanas et Saint-Maurice, Saint-Germain et Lachapelle.
Bien que possédant une partie du château de Vogüé, il s'installa à Rochecolombe où il n'avait ni suzerain, ni coseigneur. Il s'éteignit en 1306 ou 1307, laissant à son fils Raymond III un domaine de plus de 7 000 hectares.
Quelques générations plus tard, les coseigneuries qui appartenaient principalement à des membres de la famille de Vogüé se retrouvent entre les mains de familles différentes. Vers 1380, le château appartient à Béatrice de Lagorce, « dame en partie de Vogüé », épouse de Lambert de Rochemure, seigneur du Besset.Il restera dans cette famille jusqu'en 1603. La famille de Vogüé réside alors à Rochecolombe.
À la fin de la guerre de Cent Ans les Rochemure entreprirent de grands travaux pour moderniser le château, mais on ignore quel fut le résultat de cette transformation. La composition d'ensemble du château, un quadrilatère flanqué de quatre tours rondes, est souvent attribuée aux Rochemure. Mais d'autre auteurs, notamment David Lenoir, (loc. cit.), pensent qu'elle serait plus tardive et serait l'œuvre, au xviie siècle, de Melchior Ier de Vogüé (1602-1643) et de son fils Georges (1643-1675). En 1603 en effet, Melchior Ier avait racheté aux Rochemure le château et les droits seigneuriaux attachés, pour la somme de 23 000 livres. Dans Une famille vivaroise, le marquis de Vogüé dit que Melchior quitte alors tout de suite Rochecolombe pour venir s'installer au château de Vogüé. Par une longue série d'acquisitions, Melchior regroupe également entre ses mains les différentes coseigneuries de Vogüé.
La campagne de travaux ne concerne pas que l'édifice, mais bouleverse aussi son environnement en vue de la création de jardins pour laquelle des travaux de terrassements colossaux ont été nécessaires.
Mais s'il est exceptionnel par l'ampleur de ses aménagements, le château de Vogüé reste simple dans ses volumes et économe dans sa décoration.
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Georges de Vogüé (1643-1675) épouse en 1635 Françoise de Grimoard de Beauvoir du Roure. Il est nommé bailli du Haut et Bas Vivarais, Viennois et Valentinois. Cette fonction prestigieuse génère honneurs et ressources. Elle élève la famille de Vogüé dans les premiers rangs de l'aristocratie d'une région étendue.
Melchior II (1675-1706) reste fidèle au château, en répare les destructions dues à la révolte de Roure de 1670. En 1700, il achète au prince d'Harcourt, pour 80 000 livres, la terre de Montlaur, ce qui lui permet de devenir baron de tour aux États du Vivarais.
Son fils, Cerice-François (1706--1739) fut un grand rassembleur de terres et de titres. Il achete au prince d'Harcourt le titre de baron de Saint-Remèze et au même en 1716 la terre et la seigneurie d'Aubenas, pour une somme de l'ordre 400 000 livres. En 1738, c'est le château de la Borie, avec la seigneurie de Balazuc qui est acquis. En 1722, il avait hérité du domaine de Soubreyt en Velay qui avait l'avantage de relier en Vivarais les deux domaines d'Aubenas et de Montlaur.
Cerice-François développe sur ses terres une importante activité agricole et industrielle. Il installe des scieries en Montagne pour exploiter la forêt de Bauzon, une verrerie près de Mayres et une autre à Saint-Cirgues. Il développe également l'exploitation des eaux de Vals.
Mais son fils Charles (1739-1782), après la mort de son père, déserte de plus en plus Vogüé au profit du château d'Aubenas, inoccupé depuis la mort de la maréchale d'Ornano en 1672. Son fils, Cérice-Melchior, qui lui succède en 1782, achète la baronnie de Joyeuse, dernier acte des Vogüé dans l'agrandissement de leur domaine en Vivarais.
En 1789, Cérice-Melchior de Vogüé semble avoir été favorable aux idées libérales et fut élu, avec le comte d'Antraigues, député de la noblesse du Bas-Vivarais aux États généraux. Mais à la suite de divers incidents, il fut amené à émigrer avec ses deux fils, en Angleterre d'abord, puis à Lausanne et à Fiume sur l'Adriatique. Ses possessions à Vogüé sont vendues comme biens nationaux.
Cérice de Vogüé rentre en France en 1801 ; il décède à Chevigny en 1812 sans être jamais revenu en Vivarais.
C'est son petit-fils Léonce qui redécouvre le château en 1840 et décide de le racheter, ainsi que Rochecolombe. Il y entreprend aussitôt d'importants travaux de restauration. En logique avec les idéaux de progrès social pour lesquels il militera toute sa vie, Léonce installe dans son château une école qui fonctionnera jusqu'en 1960. Son attachement à Vogüé sera fidèlement entretenu par ses descendants, en premier lieu par son fils, le marquis Melchior de Vogüé, de l'Académie française, auteur de l'ouvrage bien connu « Une famille vivaroise ».
Depuis 1971, la gestion du château a été confiée à l'association Vivante Ardèche qui en assure l'animation culturelle et l'ouverture au public.
Gravure de Jean Chièze |
On atteint le château par une grande allée jadis bordée de magnifiques marronniers plantés au xviiie siècle, mais qui ont dû, depuis, être remplacés. Dans la cour intérieure, on remarque les restes du donjon du xiie siècle, ainsi que les fenêtres jumelées de la chapelle qui sont apparemment de la même époque. La grande porte d'entrée à bossages ornée d'un fronton brisé triangulaire date typiquement du règne de Louis XIII, époque où les Vogüé reprirent possession du château.
On entre dans la salle Jean Chièze par une fine porte moulurée en anse de panier, cette salle ayant été aménagée au xve siècle par les Rochemure. La cheminée d'angle et les fenêtres à meneaux sont également typiques du début de la Renaissance. Cette salle porte le nom du graveur Jean Chièze, décédé en 1975, dont un fonds important d'œuvres – plusieurs milliers, notamment des gravures sur bois, sa spécialité – a été légué au château de Vogüé. Dans cette salle, il est ainsi possible de découvrir ses bois gravés, dessins, estampes, livres illustrés ou même gouaches suivant les années ou le thème choisi.
Ressortant dans la cour, on pénètre dans la chapelle dont le volume a été considérablement réduit lors de la construction du grand escalier. Elle est éclairée par des vitraux réalisés en 1980 par l'artiste Alfred Manessier. On y a déposé, pour les mettre à l'abri, plusieurs pièces provenant de la chapelle de Rochecolombe : un petit retable sculpté (xvie siècle), en pierre tendre, figurant le Christ et les douze apôtres, une « monstrance » (xve siècle), également en pierre, ayant contenu, dit-on, des reliques de saint Barthélemy et, au-dessus de la porte, le blason sculpté des Vogüé. Plus austère, car entièrement voûtée et en pierres apparentes, la salle des gardes abrite des expositions temporaires.
Retable : le Christ et les apôtres |
Au premier étage, une salle présente l'histoire et la généalogie de la famille de Vogüé, avec un mobilier du xviiie siècle, de la vaisselle et des documents d'archives. Au même niveau, la salle dite « des États », la plus grande du château, doit son nom au fait que les États particuliers du Vivarais s'y tinrent à plusieurs reprises sous la présidence du marquis de Vogüé. Le grand tableau qui y est présenté, dû à Jean-Baptiste Martin (1659-1735), représente l'assemblée des États généraux du Languedoc, réunis à Montpellier en 1704 sous la présidence du maréchal duc de Villars.
Au centre, le maréchal siège sur un trône doré, surélevé de quatre marches, sous un dais à ses armes. À ses pieds est assis son capitaine des gardes. À sa droite, le clergé, avec les vingt-trois archevêques et évêques de la province en tenue de chœur. À sa gauche, les commissaires du roi et la noblesse du Languedoc avec ses vingt-trois barons. Dans le milieu de la salle, plus bas, se tiennent les députés des villes composant le tiers-état. Les trois ordres sont séparés par une balustrade du reste de la salle où se pressent les spectateurs. Derrière la noblesse, une tribune accueille les dames et les personnes distinguées, dont la maréchale de Villars et sa suite.
Réunion des États généraux du Languedoc |
Le jardin suspendu |
Dit aussi « jardin de la marquise », ce jardin a été aménagé au xviie siècle par Melchior Ier de Vogüé ; il repose sur de grandes voûtes jetées sur les anciens fossés. On y jouit d'une vue exceptionnelle sur le village, sur l'Ardèche à son pied, sur la Tourasse, les restes de la tour de Lesparre et de la porte Saint-Benoît.
Indiquons, pour terminer, que le château est inscrit en partie (façades et toitures) sur la liste des Monuments historiques depuis 1969, tandis que le village est inscrit en tant que site, depuis 1966.
Paul Bousquet