Le 14 novembre 2015, la Société de Sauvegarde a
donné rendez-vous à ses adhérents à Vanosc. Une
trentaine de personnes se sont déplacées, le temps
est particulièrement beau et chaud et la nature superbe.
Chacun est cependant meurtri par les attentats de la veille à Paris, dont on ne connaît pas encore l'ampleur. Une
minute de silence sera
demandée.
Le maire, Yves Boulanger,
nous accueille devant le
musée. Une journée
dense et riche en nouveautés
débute. Laissons-le
présenter son village :
« Notre commune est
située aux confins du
Vivarais, du Velay et du
Forez. Elle s'étire sur
2 670 ha et offre des altitudes
allant de 440 m à
1 333 m. Au début du xxe siècle, avec plus de 2 000
habitants, Vanosc était
une commune prospère.
Trois cents personnes travaillaient
dans les moulinages
et tissages locaux,
tous les corps de métier étaient représentés. Dans les
années 1960, le village subit la crise du textile et l'exode
rural. Le nombre d'habitants tombe à 750 en 1990.
Aujourd'hui la courbe ascendante reprend avec 937 habitants. »
Cette reprise n'est-elle pas due à son maire, à l'esprit
communautaire du village, à son goût d'entreprendre et
aussi à ce personnage hors du commun que fut Joseph
Besset, le petit charron devenu constructeur de cars
(1890-1959) ?
Le bulletin Patrimoine d'Ardèche n°30 d'avril 2014 a déjà
relaté la vie de Joseph Besset et la création du musée « du
charronnage au car », destiné à protéger un patrimoine
industriel.
À l'écoute d'Isabelle Brolles dans l'atelier de charronnage reconstitué de l'Espace Joseph Besset |
Isabelle Brolles sera notre
guide pour le site n°1 dit
Espace J. Besset. La présentation
d'un DVD sur le travail
d'un charron et le lien
de ce métier avec la
carrosserie des cars
nous prépare à la visite.
Avec passion, humour et
pédagogie, Isabelle nous
retrace l'incroyable ascension
industrielle de ce fils
de paysans illettrés, devenu
apprenti charron puis voyageur
curieux de tout, dans
le monde entier et inventeur.
Un atelier de charron
a été reconstitué avec les
machines et les outils d'époque,
il nous montre
comment fabriquer des
roues de chars et charrettes, principale activité de l'apprenti pendant
18 mois. Des photos et documents nous retracent son histoire
et nous conduisent à l'arrivée du car Isobloc. Cette conception
nouvelle a été trouvée aux Etats-Unis par J. Besset. Il rachète la
licence en 1937 à la firme américaine Gar Wood. L'idée vient de la
voiture la Stout Scarab du nom de son inventeur, William B. Stout,
originaire de Détroit ; absence de chassis, conception proche d'un
fuselage d'avion résultant de l'assemblage de poutres métalliques,
ce qui assure une grande légèreté d'ensemble et, paradoxalement,
une rigidité suffisante. En 1937, l'idée ne convainc pas, par contre
l'armée s'y intéressera pendant la guerre et donnera l'impulsion
nécessaire pour une production régulière une fois la paix revenue.
En 1945, la fabrication de cars Isobloc se concrétise à Annonay,
mais tous ces véhicules consomment beaucoup d'essence, le bloc
Ford essence est remplacé par un diesel Panhard, cela ne suffira
pas ; en 1951, J. Besset est obligé de céder son entreprise à la
SACA. En 1959, elle prend le nom de Saviem. En 1978, Renault VI
prend le relais, il s'allie avec IVECO, filiale de Fiat, en 1999 ; l'entreprise
devient IRISBUS, puis en 2003 RVI abandonne le transport
en commun pour se consacrer aux poids lourds. IVECO devient
IVECO BUS.
En fin de visite, nous trouvons une collection de
maquettes et de modèles réduits de cars du monde entier.
Collection très complète, colorée, amusante. On apprend
ainsi que les cars Isobloc ont servi de modèle aux
miniatures Dinky Toys.
La visite du deuxième site sera tout aussi passionnante,
avec une exposition de pièces de charron uniques, de
véhicules de l'ère artisanale (1929) à l'ère industrielle,
période SAVIEM et RVI. Nous verrons aussi le car Citroën
qui a tourné dans le film « Faubourg 36 » avec l'équipe Les
Choristes. Un modèle Isobloc (1943) est exposé ainsi
qu'un Citroën P45 de 1947, que l'on voit dans « Les
vacances de monsieur Hulot » et un car Saviem S45
(1970). Un atelier de tôlerie-formage du début du xxe siècle est reconstitué. Le site est rendu vivant par des
personnages mannequins habillés selon l'époque du
modèle qu'ils présentent.
Muriel Bonijoly, cheville ouvrière du musée, nous a
rejoints et soulage Isabelle en partageant les réponses à
nos nombreuses questions techniques ou pratiques. Ce
sont les visiteurs ou les réseaux des uns et des autres qui
ont permis de dénicher tous ces modèles, mais y aura-t-il
suffisamment de place pour les entreposer ? La question se
pose en particulier pour un autocar Berliet PCK 8V
carrossé Besset de 1949 ; sa cabine avancée pour
permettre une meilleure visibilité est une nouveauté à
l'époque. Entreposé dans un garage atelier à l'entrée du
village, pour être désossé, nettoyé et reconstitué, il est
actuellement l'objet de toutes les attentions. Le devis pour
sa remise en état s'élève à 55 000 euros.
Comment un village peut-il arriver à soutenir de telles
entreprises de renommée internationale ? Comme Joseph
Besset, ses habitants ne manquent pas d'idées, mais nos
interlocuteurs insistent sur l'esprit communautaire et
associatif de ses habitants soutenu par son maire.
L'association « La Vanaude » organise les activités de
culture et de loisirs de la commune, ses choix sont très
éclectiques, conférences du vendredi, soirées
cinématographiques ou théâtrales, yoga… Elle a créé
entre autres le musée du car, elle le gère financièrement et
techniquement avec beaucoup d'imagination en
partenariat avec la communauté d’agglomérations du
Bassin d'Annonay. Elle organise des évènements et
animations pour promouvoir l'industrie du car. Les
restaurations techniques des véhicules sont vérifiées ou
supervisées par d'anciens techniciens ou ingénieurs et,
jusqu'à cette année, grâce aux archives et conseils d'un fils
de Joseph Besset malheureusement décédé en mars 2015.
La partie financière est assurée par les visites, des dons,
souscriptions, subventions, animations diverses, location
de véhicules pour le tournage de films et, bien sûr, le
bénévolat de chacun.
Le maire et l'équipe municipale nous accueillent ensuite
pour un verre de l'amitié. Après le déjeuner, nos visites
reprennent.
À voir également :
Située à proximité de l'église Sainte-Marie et de la mairie, la maison Renaissance n'est pas habitée. Une des familles propriétaires habite Vanosc et nous accueille très chaleureusement. Un escalier de pierre situé dans la tour nous conduit à une grande salle qui possède une magnifique cheminée que l'on peut dater du xve siècle, le plafond à la française a été refait au xixe siècle. La deuxième partie de l'escalier est en bois et très bien conservée, il nous permet d'accéder au deuxième étage où l'on retrouve une autre grande pièce. L'extérieur a été rénové et est en parfait état. Sa tour carrée lui donne l'importance d'une demeure seigneuriale.
Ce hameau situé à l'entrée de Vanosc lorsque l'on vient de Villevocance a été entièrement réhabilité par la municipalité et a été proposé à des artisans luthiers. Aujourd'hui plusieurs ateliers sont installés ; nous en visiterons deux.
Philippe Berne, installé en 2001, fabrique et invente des
instruments à cordes pincées et frottées, il utilise des bois
de fruitiers ou de conifères locaux comme le cormier, le
sorbier, le pommier, l'orme, l'alisier, l'abricotier, le pêcher,
le robinier… Ces bois ont les mêmes capacités que des
essences rares telles que l'érable ondé ou le bois de
palissandre et conviennent tout aussi bien pour fabriquer
des instruments. Un luthier consomme assez peu de bois
et une grume peut durer plusieurs années. Les qualités
d'un instrument viennent d'abord du luthier, puis de celui
qui en jouera.
Il n'a de cesse de chercher et de créer et s'il fabrique des
instruments classiques comme des violons, des guitares,
des contrebasses, des vielles, il invente aussi des formes
inédites, caisses triangulaires, manches
allongés par exemple ; il trouve de
nouvelles sonorités liées aux différentes
essences de bois. Son temps se partage
entre une fabrication « à la chaîne » (il a
en effet conservé des machines
performantes de l'époque où il était
menuisier) et une fabrication inventive.
Philippe Berne |
Dominique Engles |
Dominique Engles est arrivé de Saint-Julien-Chapteuil, en Haute-Loire, et
s'installe en 2013. Il est spécialisé dans la
fabrication de vielles à roue.
Si la vielle est mentionnée chez les
Grecs, elle ne fait son apparition en
Europe qu'au Moyen-Âge, au xie siècle. À
cette époque, il fallait deux personnes
pour l'utiliser, l'une tournait la
manivelle, pendant que l'autre jouait.
C'est d'abord un instrument de cour,
mais remplacé par le piano-forte, il devient l'instrument
des gens simples et des mendiants. Au xviiie siècle, la vielleà roue dont le son a été adouci refait son apparition à la
cour, elle est alors richement décorée ; après la
Révolution, elle redevient un instrument populaire et
tombe en désuétude. Au xxe siècle, entre les années 1960
et 1970, elle entre dans les groupes folkloriques.
Les vielles sont des instruments à cordes frottées soit par
un archet, soit par une roue ; leur caisse est généralement
bombée, elles disposent de cordes mélodiques
(chanterelles) qui passent dans une boîte à clavier
disposée sur la caisse, les quatre cordes bourdons étant de
part et d'autre de cette boîte. Nous passerons un long
moment devant la vielle à roue. Cette roue, dont la moitié
saille sur la caisse est recouverte d'une bande de
protection, une manivelle sert à l'actionner. À l'autre
extrêmité de la caisse, à la place du manche, est placé le
cheviller terminé par un motif souvent richement sculpté
en souvenir de l'époque où il était l'instrument favori de la
cour aux xviie et xviiie siècles.
Dominique Engles découvre cette forme vielle à roue dans
les années 1968, attiré par le son spécial de cet instrument
qui accompagne parfaitement les chants occitans qu'il
connaît bien. Il prend des cours, puis
enseigne pendant sept ans jusqu'en
1987. Il se lance ensuite dans la
fabrication et cherche à améliorer le son
et à simplifier son utilisation. Il modifie
le chevalet, pièce très importante car
amplificateur du son, il met un chevalet
de violoncelle fait de deux pieds, d'un
pont, d'un cœur et de deux ailettes. La
caisse en demi-coque devient à fond
plat, il supprime deux âmes et n'en
laisse qu'une (l'âme transmet les
vibrations à la table d'harmonie), la
table est en épicéa et le fond en érable.
Le clavier est désolidarisé de la table
d'harmonie.
Les chanterelles ou cordes, en général
au nombre de deux ou de quatre, sont
manœuvrables avec le pouce de la main
gauche grâce à une commande située à
l'arrière du clavier.
La vielle à roue est un instrument qui se joue seul, il
accompagne un chant ou joue une mélodie toujours avec
un son rauque, il est recherché par les groupes
folkloriques.
Un troisième luthier, renommé aussi, Bruno Campanati est
installé à Monteillet, absent, nous ne pourrons pas visiter
son atelier.
Dans l'atelier de Philippe Berne |
Elle était au programme, mais nous renoncerons à la voir car en mauvais état. Elle nécessite beaucoup de travaux pas encore programmés.
Saint Roch |
Située au hameau de Pouillas, cette chapelle du xvie siècle
a fait l'objet d'une restauration récemment. Mais si les
travaux sont terminés, son histoire est encore mal connue.
La légende veut qu'un gentilhomme vanoscois pressé de
retrouver sa dulcinée à Vocance, trouvant sa monture trop
lente, invoqua le démon : « que le diable m'emporte » dit-il,
sitôt dit sitôt fait : mais une fois dans les airs, pris de
vertige sans doute, il se repentit. Il fit le vœu de construire
une chapelle à l'endroit où il atterrirait sain et sauf. Elle
est d'apparence extérieure modeste, avec un porche
relativement profond qui occupe toute la façade.
L'intérieur est plus riche, il a été repeint de couleurs un
peu vives et met en valeur son mobilier, les statues de
saint Sébastien et de saint Roch.
La dernière visite nous conduira au Pont du moulin de
Cance, sur la D 270 qui relie Annonay à Sarras. Le 23 avril
2009, un rendez-vous avait été donné sur ce site dans le
cadre d'une sortie sur le patrimoine industriel de la vallée
de la Cance.(En voir ici le compte rendu). Il y avait là une passerelle ou plutôt ce qu'il
en restait. Elle n'était pas dénuée d'intérêt, car construite
selon la technique de Marc Seguin avec des câbles faits
d'un fil de fer plié et non pas torsadé. Ces fils parallèles étaient ligaturés entre eux. Elle avait eu un rôle humain
important, car elle permettait de relier à pied
Quintenas et Vernosc. Construite entre 1863 et
1865, elle permettait aux habitants de ces
villages de venir travailler dans les ateliers de
moulinage de Ferdinand Glaizal (originaire de
Vanosc) installé sur la rive gauche, l'atelier
Léorat situé côté Quintenas avait été fermé à la
suite d'incendies. Mais les techniques
changent, les modes aussi, en 1960, le site est
abandonné, le pont n'est plus entretenu, il est
livré aux intempéries et son accès interdit.
Considéré comme l'unique survivant de ce
procédé de construction, son intérêt
historique et technique poussera le maire de
Vernosc d'alors, Michel Faure, ancien
président de la Sauvegarde, à la faire classer
monument historique en avril 1981.
Il faudra attendre 2004 pour que le projet de
restauration soit initié par la volonté des
communes de Quintenas et de Vernosc pour
les relier par un chemin de randonnée et par
celle du Syndicat des 3 rivières à Davézieux pour une mise
en valeur des milieux aquatiques. Le projet de
reconstruction à l'identique est confié à Olivier Naviglio,
alors architecte en chef des monuments historiques et au
bureau d'étude ARTCAD de Dardilly.
Les travaux seront réalisés par des entreprises régionales
- ADS Ouvrages d'Art pour les câbles
- Glénat pour la maçonnerie
- Les charpentiers du Grésivaudan pour la charpente
- SAIT pour l'échafaudage.
Le pont de Moulin-sur-Cance restauré |
Les travaux commenceront en novembre 2012 par la mise
en place d'un échafaudage, opération difficile car la Cance
est une rivière capricieuse et sujette à des crues qui la
transforment en torrent, en 2013 le débit de l'eau atteint
250 m3 par seconde. Le pont sera démonté pièces par
pièces, étudié, analysé pour retrouver son montage
d'origine. La fabrication se fera la plupart du temps en
atelier et les pièces seront acheminées par camion, non
sans difficultés car la route est très étroite, sinueuse et
l'accès à la rivière peu pratique. Quoiqu'il en soit, chacun
insiste sur le désir profond de relever le défi qui leur est
proposé et l'enthousiasme qui les a poussés malgré les
difficultés. L'inauguration du pont a lieu le 7 novembre
2013.
Un projet de mise en valeur est à l'étude. L'association « Au
fil du pont » en lien avec des historiens locaux fait des
recherches pour connaître les activités passées de la
région, en particulier sur l'existence de moulins à farine
installés sur la Cance ; ils portent le nom de Barou,
Péréandre, Quintenas, Fanget, Tourtel, Thoué, Assuie. Le
moulinage à soie n'apparaît qu'en 1860 avec l'installation
de celui de Ferdinand Glaizal.
Deux DVD. ont été réalisés ; le premier en 2007, « Au fil du
pont », fait état de l'histoire des moulinages et de la vie
locale à cette époque. Les acteurs sont souvent
d'anciennes ouvrières et leurs descendants. Ce DVD
apporte un témoignage humain émouvant. Le second, « Un pont… de fils, de bois et de pierres » a été réalisé en
2012-2013 pendant la reconstruction du pont. Technique,
il est le reflet de l'activité intense qui a régné sur ce site
pendant un an et de la passion qui a animé les entreprises.
Il a été projeté au théâtre d'Annonay le 21 mai 2014.
Un livre sur l'histoire locale est à l'étude, un autre
actuellement sous presse proposera aux touristes de faire
un détour par la D270. Il s'intitulera « 100 lieux pour les
curieux ».
Dernièrement, au cours de l'émission « Des Racines et des
Ailes » sur le Beaujolais, le Lyonnais et l'Ardèche, il a été
survolé par la superbe montgolfière Réveillon, pilotée par
Roland de Montgolfier, petit neveu de Marc Seguin. Cette
montgolfière est la réplique de celle qui avait été
présentée à Louis XVI en novembre 1783.
Cette modeste passerelle, devenue « Pont du moulin de
Cance » sera le catalyseur qui fera qu'Annonay, fière de ses
inventeurs qui ont fait d'elle un haut lieu du patrimoine
industriel international, la fera connaître et évitera ainsi
que ses grands hommes, en particulier Marc Seguin, ne
tombent dans l'oubli.
Pour assurer le financement des travaux, une souscription
sera ouverte par le Syndicat des 3 rivières. Avec son
autorisation, nous reproduisons ici une partie de la
plaquette éditée à cette occasion. La technique de Marc
Seguin y est parfaitement décrite.
Mireille d'Augustin
(Visite de la Sauvegarde, nov. 2015)
Le pont suspendu de Moulin sur Cance. |